L’Écho du monde


Cette saison, Gurshad Shaheman nous a proposé de travailler autour de « nos identités performées », comme un fil rouge que vous pourrez suivre librement. Cet Écho du monde réunit des spectacles – identifiés par un logo – et se déclinera à travers 3 journées qui mêleront ateliers, conversations, projections, lectures, et qui se termineront par une fête ! Cet Écho du monde est enfin l’occasion de confier à notre auteur associé, Marcos Caramés-Blanco, la création d’un solo performatif (Ix : Variations) ainsi que d’un spectacle participatif (Variations transpersonnelles).

« Nos identités performées » par Gurshad Shaheman

À la sortie de l’adolescence, j’ai revendiqué avec force une identité d’artiste, queer et moyen-orientale, comme une arme d’opposition et de réappropriation. Aujourd’hui, en assumant et réagençant certains clichés, je crée des spectacles qui déjouent les images attendues et les idées reçues pour tendre aux spectateurices un miroir susceptible de déplacer les regards. Sur tes traces, ma prochaine création, coécrite avec l’artiste québécois Dany Boudreault, poursuit ce travail. Nous faisons le portrait l’un de l’autre en interrogeant nos entourages respectifs. Et plus j’écoute les récits de ses proches, plus l’image de Dany se diffracte, se démultiplie et devient insaisissable. Je pense qu’il en est de même pour chacun·e de nous. Nos personnalités sont des puzzles dont les pièces ne s’emboîtent pas toujours de façon lisse et prévue.

Au cours de cette saison au Théâtre de la Bastille, nous avons rassemblé des artistes qui portent un regard aigu sur nos identités performées. Ce faisant, iels créent des spectacles aux contours fluctuants et inédits. Avec La Grande Remontée, Pau Simon nous invite par exemple à nous pencher sur la contraception masculine. Iel retourne les poncifs du genre et interroge le pouvoir de reproduction attaché à la virilité. Quant à Ali Chahrour, ses créations jouent sans cesse avec les frontières, elles réinvestissent des cérémonies traditionnelles et réassignent les gestes rituels dont il a hérité, détournant les codes établis du dogme pour libérer d’autres significations. Cette entreprise de réagencement de son propre génome est un geste profondément créatif.

Explorer son identité m’intéresse surtout lorsque cela devient un procédé poétique, quand la langue transcende une émotion et la rend partageable. L’écriture de soi fait d’ailleurs partie intrinsèque de notre histoire littéraire, de Marcel Proust à Annie Ernaux.
Aujourd’hui, écrire à partir de son vécu, c’est aussi un moyen de lutter contre cet air du temps où les médias nous submergent de chiffres et d’analyses surplombantes. Tout événement intime, toute joie ressentie ou violence subie dans sa chair devient quantifiable, se transforme en statistique. La littérature, et le théâtre en particulier, permettent de revenir au singulier. L’écriture de soi est une métonymie : il s’agit d’invoquer l’humanité entière à travers la complexité d’une seule personne.

Ce qui m’intéresse enfin dans les identités performées, ce sont les tentatives qui cherchent à réinventer le rituel du théâtre. Au-delà d’un bon texte, d’une mise en scène réussie et des interprètes de talent, j’attends quelque chose de plus, que le moment passé ensemble soit unique, que la soirée soit une expérience. J’aime lorsque les frontières de la représentation sont floutées, et lorsqu’on remet en question le contrat tacite plaçant les artistes debout sur scène, sous la lumière, et le public assis dans le noir de la salle. La forme performative permet cela. Les spectateurices sont souvent invité·es à faire corps avec l’œuvre et à se mettre en mouvement face au spectacle. C’est cette respiration commune entre toutes les personnes présentes qui rend l’instant unique.

Gurshad Shaheman
Propos recueillis par Victor Roussel